Rabbit Hole

29/01/2019

C'est au beau milieu d'une après-midi bien grise que je me rends au théâtre des Bouffes Parisiens pour assister à la représentation de Rabbit Hole (littéralement le terrier de lapin). Et c'est mon amie Macha qui m'accompagne, véritable petit rayon de soleil de ce dimanche bien pluvieux.

Le rideau se lève sur une cuisine ouverte sur salon, le tout en bois d'acajou. En milieu de scène des cloisons de bois et de tenture, un peu à la manière des maisons traditionnelle japonaises, nous séparent du reste de l'habitation. Ce paravent semi-opaque à 180° et qui servira d'écran de projection dans une scénographie originale et superbe, laisse entrevoir en fond de scène d'autres pièces plongées dans la pénombre. Deux sœurs, Becky et Izzy, sont en pleine discussion. Elles se chamaillent, se titillent, parlent du quotidien...

En dépit des sous-entendus, des non-dits, le public comprend le drame qui se joue dans cette famille. Becky et son époux Howard ont perdu leur fils unique, Danny, il y a quelques mois dans un tragique accident de voiture alors qu'il essayait de rattraper son chien. Car la mort de Danny est un accident rien de plus. Elle n'est la faute de personne, pas même du jeune lycéen qui n'a pu arrêter la voiture et qui vient implorer le pardon de Becky et d'Howard. Depuis, dans cette famille, le temps semble suspendu au deuil de ce couple alors que pourtant la vie continue désespérément.

Becky, dont la colère et la révolte sont à toujours à la limite d'éclater, s'oppose littéralement à Howard, qui semble porter la famille à bout de bras. Lui préfère vivre son deuil de manière plus introvertie, en suivant les conseils des "pros" pour tenter de passer le cap. Il ne rate d'ailleurs jamais une séance du groupe de parole où d'autres parents vivent le même drame. Howard tente vainement de relancer un quotidien et une vie de couple meurtris, alors que Becky préfère quant à elle envoyer tout valdinguer : son entourage, le chien, les groupes de parole, les psys, ce quotidien qui continue inexorablement.
Autours de ce duo antagoniste gravite la mère de Becky, Nat, qui pour tenter d'aider s'emballe dans des conversations qui finissent toujours par renvoyer la famille à sa propre tristesse. Izzy, la sœur cadette de Becky, fraîchement installée avec son compagnon et enceinte, représente l'avenir. Elle est partagée entre son bonheur de future mère et la tristesse de sa sœur et de son beau-frère. 

Tout au long de la pièce, comme pour compenser le bazar qui se joue dans sa tête, Becky tente de garder l'intérieur de sa maison le plus soigné possible. Elle range, classe, nettoie, dispose, tri les affaires de son fils, propose même à sa sœur de lui donner les vêtements de Danny en espérant au fond que son bébé sera une fille. Et tout le monde ne sait pas trop quoi faire pour bien faire et quoi dire pour éviter la parole de trop qui ferait exploser cette poudrière. Contrairement à ce que l'on pouvait penser, cette dernière explose par le biais d'Howard, qui tout du long tente de retenir son chagrin mais dont le barrage intérieur finit par exploser littéralement dans une scène très émouvante, refusant l'idée que le souvenir de son fils s'efface.

Il faut bien se rendre à l'évidence, cette pièce fonctionne bien, voire même très bien! La mise en scène simple mais efficace sert toute entière ce long travail de deuil entamé par cette famille frappée par la brutalité de ce qu'on peut appeler un banal accident. La surprise viendra sans doute de l'humour développé dans la pièce car malgré la tragédie de la situation, celui-ci vient offrir une légèreté bienvenue et contrastante avec la lourdeur de ce drame. 

Côté jeu, tout est juste et bien amené. Entre un couple aux abois et qui se cherche, une mère qui tente de bien faire (et qui se plante), une sœur qui représente le temps qui passe, la jeunesse et l'avenir, et un jeune garçon rongé par la culpabilité, en quête de pardon mais dont la tête bouillonne de projets, la pièce semble trouver son équilibre. Chaque personnage arrive dans son registre à mettre en exergue son propre conflit intérieur entre la tristesse, l'absence mais également la vie qui continue et qui finira par apporter malgré tout un peu de joie. Les acteurs offrent au public le magnifique texte de Davis Lindsay-Abaire avec une simplicité et une sincérité déconcertantes. A aucun instant l'audience est plongée dans des situations surfaites. Et si d'aventure, vous êtes quand même tenté de sortir un mouchoir (ce qui fut mon cas), ça sera pour une bonne raison, croyez-moi.

Sans en oublier Danny, ce travail de deuil se fait malgré tout. Ainsi, au fur et à mesure que les paravents s'envolent, le public est invité petit à petit à porter son regard sur le fond de scène qui dévoile le reste de la maison, l'espace de l'enfance. Preuve que le chagrin passe mais ne s'oublie pas, les adultes se réapproprient petit à petit cette chambre au profit d'une pièce plus neutre. Et une fois le cap presque (mais jamais totalement) passé, le décor monte au ciel telle l'âme du petit Danny que les parents décident finalement de laisser s'envoler vers les étoiles.

Et maintenant à vous de jouer !
Maria-Nella

Univers Parallèles
De : Davis LINDSAY-ABAIRE
Adaptation de : Marc LESAGE
Mise en scène : Claudia STAVINSKY
Scénographie : Alexandre de DAEDEL
Avec : Julie GAYET, Patrick CATALIFO, Christiane COHENDY, Lolita CHAMMAH, Renan PREVOT

*Articolo dedicato alla mia cara bisnonna, Rosa, che sfortunatamente ha connosciuto per due volte questa tristezza senza fine. - Article dédié à ma chère arrière-grand-mère, Rose, qui malheureusement, a connu par deux fois cette tristesse sans fin.

Les bouffes parisiens - 27 janvier 2019