Master Class - Alexis Michalik

22/01/2019

Il y a un peu plus d'une dizaine de jours, je reçois un sms en mode message codé : « Hello Maria-Nella-STOP-Masterclass-STOP-Michalik-STOP-21janvier-STOP-18h30-STOP-Palais Royal-STOP-Gratuit-STOP-Bise. » Il ne faut pas sortir d'une grande école d'espionnage pour comprendre rapidement le sens de ce message et 10 minutes plus tard me voilà inscrite à la master class organisée par l'école ICART et dont l'invité est Alexis Michalik.

Lundi 21 janvier, c'est le jour J. J'arrive dans le hall du théâtre bondé de « petits jeunes ». Je me sens un peu vielle du haut de mes 32... heu... 36... bon 38 ans. Leur point commun : ils sont tous plein d'espérance à l'idée d'interroger l'homme qui affiche au compteur de ses 36 printemps pas moins de 10 Molières!!! Mais oui Madame. La valeur n'attend point le nombre des années.

Après m'être installée confortablement à l'orchestre, je me rappelle que la salle du Palais Royal est sans doute l'une de mes préférées car en plus d'une programmation bien sympathique et de la magie de ce théâtre à l'italienne, j'ai assez de place pour caser mes grandes papattes, vous savez que c'est ma hantise au théâtre.
Côté plateau, ce dernier est habillé de quelques éléments de décor d'Edmond, piano à cour, costumes sur portant à jardin, la griffe Michalikienne et rideau rouge dans le fond, sans compter la présence de Flaco, le lévrier du directeur technique du théâtre du Palais Royal et mascotte d'Edmond. Quatre chaises sont disposées sur l'avant-scène, trois côté cour pour les maîtresses de cérémonie de l'ICART et une côté jardin pour M. Michalik, applaudi avec entrain par le public.

Après une « joute » verbale des plus sympathiques entre les quatre protagonistes, la master class commence. Pendant plus d'une heure Alexis Michalik répond (longuement) aux questions des modératrices qui orienteront le débat autour de deux axes, le théâtre, puis le cinéma, avant un temps d'échanges avec le public.

Des timides essais d'écriture aux succès théâtraux (presque) inattendus :

Dans un premier temps, tout le processus de création théâtral d'Alexis passe à la moulinette de ce jeu de questions-réponses : de son envie grandissante d'écrire, aux structures narratives proches des séries télé (24h chrono), en passant par les metteurs en scène qui l'ont influencés (Peter Brook, Ariane Mnouchkine), son obsession du rythme qui constitue l'une des clés de voûte de ses pièces, l'importance de la musique métronome dans ses histoires, sa volonté de ne pas forcément prendre des têtes d'affiche et de demeurer dans l'esprit d'un théâtre de troupe, des multiples références historiques et littéraires et qui parlent au plus grand nombre, jusqu'à la part importante de l'improvisation dans ses créations en plateau (Intra-Muros). Bref, l'éventail d'éléments construisant l'œuvre d'Alexis Michalik.

Pour reprendre un peu la genèse de son parcours d'auteur de théâtre, l'envie d'écrire d'Alexis ne date pas d'hier. Petit déjà il s'est essayé à cet exercice sans forcément susciter l'enthousiasme de son entourage et notamment celui de son père. Ce plaisir d'écrire est au fil du temps devenu un entraînement quasi quotidien. Pourtant l'objectif premier était celui d'être acteur mais au final, ce muscle entretenu pendant des années a fini par servir jusqu'à faire naître le Porteur d'histoire, succès arrivé presque un peu hasard (abandon d'un autre spectacle pour absence de production, créneau disponible lors du festival au ciné 13...).

Pour Alexis, le processus d'imagination est bien plus long que la phase d'écriture qui n'est que la traduction de ses idées mises bout à bout. Il est cependant difficile d'imaginer des histoires assis à son bureau devant son Mac Plus. Elles sont faites de rencontres, d'anecdotes, se construisent au fil du temps. Alexis compare volontiers les idées qui lui traversent l'esprit à de petites graines qui germeront peut-être dans un avenir plus ou moins lointain, telle une ancienne pierre tombale aux épitaphes effacées, point de départ du Porteur d'histoire, ou sa rencontre avec des détenus qui fera naître Intra-Muros. Le plus dur étant de prendre les idées issues du quotidien et de les amener jusqu'au point final du projet de création.

Le cinéma : un art qui s'est patiemment fait attendre.

Côté 7e art, Alexis avait déjà l'expérience des courts-métrages (Pimp-Poum le petit panda ; Au Sol...). Mais, en termes de long métrage, pour comprendre le processus cinématographique d'Alexis Michalik, il faut d'abord remonter à la création de la pièce Edmond.

Suite au succès du Porteur d'histoire qui depuis s'est exporté en Belgique et à Lyon (mon amie Martine* l'a vu lendemain de la master class et a adoré), mais également grâce à la réussite du Cercle des illusionnistes qui a reçu 3 Molières, Alexis Michalik s'est vu soufflé par Sébastien Azzopardi l'idée de monter quelque chose d'un peu plus « gros » au théâtre du Palais Royal. De prime abord, le pari ne semblait pas gagné : théâtre beaucoup trop grand (700 places contre 250 à 300 habituellement, pas de tête d'affiche...). Mais c'était sans compter un scénario de film qui dormait depuis quelques années dans un tiroir : Edmond. Car avant d'être le succès théâtral que l'on connait, Edmond était un film qui rencontrait des difficultés pour être monté au cinéma : film d'auteur, sur le théâtre, en costumes, nécessitant un financement important, dont le metteur en scène à l'époque n'était pas aussi connu que maintenant. C'est donc tout naturellement qu'Alexis s'est donc tourné vers le 6e art. Car fort des succès du Porteur d'histoire et du Cercle des illusionnistes, pourquoi Edmond n'aurait-il pas finalement sa place au théâtre, voire même au Palais Royal ?

En réadaptant un peu l'histoire et en restant fidèle à sa formule de ne pas prendre des têtes d'affiches qui sont plus disponibles que des célébrités, Alexis a donc constitué une première troupe d'une douzaine d'acteurs qui a porté en triomphe cette histoire. Et après deux saisons et demie au Palais Royal et une tournée en province, il suffisait donc à Alexis de suivre le chemin que le théâtre avait ouvert pour lui et menant au cinéma.

A la question « Qu'est-ce que le cinéma permet de faire contrairement au théâtre ? » Alexis répond que le prisme dimensionnel est différent (olala, à la l'écriture de cette dernière phrase, j'ai l'impression d'être le Dr. Brown dans retour vers le futur. Il ne me manque plus que les cheveux blancs coiffés en pétard).
Concrètement, le théâtre suggère, le cinéma montre. D'un point de vu dimensionnel, au théâtre, du fait que la pièce est limitée dans l'espace, quelques éléments de décors suffisent. Pour illustrer son propos, Alexis prend comme exemple la Brasserie de M. Honoré qui dans la pièce est symbolisée par trois tables et six chaises alors qu'au cinéma, il a fallu recréer une Brasserie dans ses moindres détails. En conséquence, au cinéma les dimensions et les moyens sont supérieurs. Il faut plus de décors, plus de costumes, plus de figurants. Alexis compare les équipes logistiques d'un film à une armée, alors qu'au théâtre, c'est souvent le système D qui prime (on oublie vite ses envies de thé au gingembre sur les planches).
En outre, au cinéma la temporalité est inversée. Le film Edmond a nécessité un an de préparation, deux mois de tournage, toute une phase de montage, quatre mois de promotion, la sortie du film constituant le point d'aboutissement de ce travail. Au théâtre, outre les phases de répétition, le travail de promotion, le bouche à oreille, le re-calibrage du spectacle etc. commencent quant à eux après la première.

#FautvoirlefilmEdmond :

Le film Edmond étant sorti le 9 janvier dernier, la master class s'est donc orientée vers cette dernière création. Au cours de la soirée, Alexis n'a pas résisté au désir à peine voilé de nous inciter à aller voir le film, vu pour ma part le 13 janvier dernier.

Me concernant, ce film est un bel hommage rendu au théâtre et pour avoir eu l'occasion de voir par deux fois la pièce, j'avoue avoir ressenti les mêmes émotions qu'au Palais Royal : rythme effréné, musique, passage du rire aux larmes, références littéraires et cinématographiques (Shakespeare in love)... Je tiens à souligner le clin d'œil dans le générique final aux grands comédiens qui ont interprété le rôle de Cyrano : Coquelin lui-même, Jean Piat, Daniel Sorano, Gérard Depardieu... De plus, calée dans mon fauteuil au cinéma, j'avais même de la place pour mes jambes. Que demande le peuple ? En sortant de la salle, j'ai pu remarquer que le public avait littéralement la banane, d'où mon post sur Instagram.

Pour reprendre une interview datant de l'an dernier dans le 7-9 de France Inter, le film Edmond dispose d'un casting un peu chic (Clémentine Célarié, Mathilde Seigner, Olivier Gourmet, Dominique Pinon) et fait la part belle à de nouveaux acteurs (Thomas Solivérès, Lucie Boujenah, Tom Leeb, Igor Gotesman). Mais même au cinéma, la fine équipe théâtrale d'Alexis n'est pas loin. Jean-Michel Martial, seul acteur issu de la pièce, fait le trait d'union entre l'interprétation théâtrale et cinématographique d'Edmond et le nom de Stéphanie Caillol (Jeanne et Roxanne dans la première distribution) est évoqué. De plus, le film est une belle preuve d'amitié à ses comédiens des premières heures. On a pu reconnaître certains acteurs du Porteur d'histoire, du Cercle des illusionnistes ou d'Intra-Muros (Régis Vallée, Marica Soyer, Vincent Joncquez, la grande Jeanne Arènes, Alice de Lencquesaing, Bernard Blancan) voire même de son équipe qui officient le plus souvent dans l'ombre (Marion Rebmann, Juliette Azzopardi, Benjamin Bellecourt). Alexis lui-même y fait quelques petites apparitions sous le haut-de-forme de Georges Feydeau qui n'est pas le rôle le plus sympathique. D'ailleurs, d'une manière plus générale, Alexis n'a pas caché son attachement à jouer des rôles (je cite) « de connard » (voir les séries Versailles ou Kaboul Kitchen).

Le ping-pong de questions-réponses avec le public :

Après cette heure retraçant l'ensemble de son œuvre, la master class a donné la parole au public. Se prêtant volontiers au jeu, Alexis s'est vu interrogé sur ses références culturelles toujours pédagogiques, sur son attachement à l'Histoire, sur le choix des prénoms parfois « chelous » de ses personnages (Avril, Décembre, Ange...), sur son premier rôle de chef d'orchestre à l'atelier théâtre de sa classe de 6e, sur son parcours d'autodidacte, il refusera d'ailleurs le concours d'entrée au conservatoire national d'art dramatique.

La salle étant remplie de (futurs) jeunes professionnels, Alexis s'est notamment vu interpelé par une jeune comédienne sur la difficulté pour les petites compagnies de lever des fonds pour monter un spectacle à Avignon. Ce à quoi l'auteur et metteur en scène a répondu que dans ce métier, quel que soit le niveau, l'argent demeure au centre des préoccupations car c'est malheureusement lui qui jette les premiers jalons d'un spectacle. De même que le festival d'Avignon est l'étape incontournable pour percer dans ce métier.

Au milieu de ce parterre de professionnels Alexis n'en a pas moins oublié de faire un clin d'œil au théâtre d'amateurs. Certes Alexis ne travaille pas avec eux mais il consent à leur céder ses droits d'auteur quand ils veulent monter le Porteur d'histoire ou le Cercle des illusionnistes. En échange, l'auteur demande à voir quelques photos du spectacle. Plutôt sympa comme deal. Les amis ! Vous êtes prévenus !


Pour conclure cette master class passionnante et en live (ça change des podcasts écoutés dans le RER), grâce à l'exposé de son parcours et grâce aux échanges avec la salle, le public du Palais Royal a ressenti toute la passion qu'Alexis Michalik met dans son travail.

D'une manière plus générale, dans ses histoires, les spectateurs sont littéralement pris par la main sans trop savoir où ils vont. Et le succès de ce concept est d'ailleurs au rendez-vous, le bouche à oreille étant la meilleure des publicités.

Plus personnellement, à chaque fois que je suis amenée à le rencontrer, j'avoue que je suis toujours sciée par l'accessibilité de l'homme aux 10 Molières. Ce fut une nouvelle fois le cas ce soir-là. En outre, en dépit de son succès, Alexis Michalik semble garder les pieds sur Terre et souhaite rester en contact avec son public. Il le dit lui-même, il continue de prendre le métro et d'avoir un rythme de vie le plus simple possible. Continuez M. Michalik, le public vous aime aussi pour ça.

Bref, une soirée passionnante sur les coulisses du 6e, puis du 7e art à travers le « prisme Michalikien ». Quant à moi, j'ai repris confiance dans ma capacité à prendre des notes pendant plus de deux heures (surtout avec une grosse entorse de l'épaule droite). Aujourd'hui, je me prends à rêver de pouvoir retourner sur les bancs de la fac... malgré mes 38 ... 36... bon 32 printemps.

Et maintenant, à vous de jouer !

Maria-Nella

*Le prénom a été chan.

Théâtre du Palais Royal - 21 janvier 2019